19 records du monde ont été battus lors des derniers Jeux Olympiques, et certains haut la main. Si nous continuons à nager plus vite, à sauter plus haut et à lancer plus loin que dans le passé, ces performances nous obligent à nous poser la question de savoir jusqu’où les performances athlétiques peuvent aller.

Nombreux sont ceux qui ont essayé de découvrir où se situent les limites absolues de la performance humaine, et la science peut nous éclairer sur ce qu’elles pourraient être et quand nous serions susceptibles de les atteindre.

Il est clair qu’il y a eu une amélioration importante des aptitudes athlétiques durant le siècle passé. Cela se reflète par l’amélioration continue des records du monde en athlétisme depuis le début des années 1900, qui tendent à suivre une tendance linéaire plutôt qu’exponentielle. Cependant, cette progression n’est pas uniformément distribuée à travers les différentes disciplines athlétiques.

Sur les 100 dernières années, de grandes améliorations ont été réalisées en javelot et au lancer du poids, tandis que des gains plus modestes ont été acquis en course à pieds sur courte distance, comme le 100, 200 et 400 mètres. En 1909 par exemple, le record du lancer de poids était de 15,54 mètres, le record actuel qui date de 1990 est de 23,12 mètres. Cela signifie que nous avons augmenté la distance de lancement de presque 50 % en 80 années. Au contraire, l’amélioration au 100 mètres hommes durant le siècle passé est relativement faible, de 8%.

Cependant, le taux d’amélioration chez les femmes a été extraordinaire, et globalement plus important que ce qui a été observé chez les hommes sur une période de temps identique. Prenons le 100 mètres par exemple, les femmes ont amélioré leur performance de 30 % sur 80 ans. Comme vu plus haut, les hommes ont amélioré leur performance de 8 % seulement sur plus de 100 ans. Cette différence est encore plus grande dans de nombreuses autres disciplines.

Il a aussi été démontré que la séquence de records dans l’histoire de l’athlétisme n’est pas distribuée de façon aléatoire, mais qu’il y a une régularité distincte [1].

Pourquoi sommes-nous meilleurs ?

Est-ce que de telles améliorations dans le temps peuvent être dues aux techniques cycliques d’entrainement, par lesquelles une nouvelle technique est appliquée à une génération d’athlètes, jusqu’à ce qu’autre chose de plus efficace soit trouvé puis appliqué à la génération suivante ? Ou bien cela est-il dû à la découverte plus efficace d’athlètes de haut niveau dans les générations qui se suivent [2] ? La réponse à cette question est à ce jour inconnue, il n’y a pas assez de preuves pour déclarer qu’un des mécanismes potentiels est le plus dominant.

Certains facteurs semblent cependant jouer un rôle. Premièrement, les avancées économiques et la large couverture des sports par les médias ont contribué à augmenter le nombre d’athlètes, en incluant ceux qui font de la compétition de haut niveau. Statistiquement parlant, cela augmente les chances que des “valeurs extrêmes” (ou des pics de performance) apparaissent dans une distribution normale d’athlètes, qui pourraient partiellement compter dans ces améliorations des records.

Deuxièmement, la génétique pourrait être impliquée [3]. Plusieurs gènes influencent la performance athlétique, qui peut ainsi être considérée comme une caractéristique polygénique – sur laquelle un grand nombre de gènes, chacun ayant un effet relativement petit, contribue à un résultat. Un niveau élevé de sélection naturelle aura fait son oeuvre dans le temps, et les meilleurs athlètes pourraient se caractériser par une prévalence de ces gènes.

Cela pourrait rendre compte des améliorations plus faibles de la performance athlétique dans les sprints (par exemple les 100, 200 et 400 mètres) quand on les compare aux épreuves de distance moyenne et de longue distance (1500 et 10000 mètres ou le marathon).

Les performances des athlètes de sprint dépendent principalement de deux variables : le temps de réaction et les fibres musculaires rapides. Chez les athlètes d’endurance en revanche la performance maximale est régulée par les fibres musculaires lentes et par la capacité d’endurance. Cette dernière peut être substantiellement augmentée soit grâce à un entrainement régulier soit par la manipulation (dopage, par exemple). Inversement, le temps de réaction, qui dépend fortement du système nerveux, a une marge d’amélioration limitée quand on le compare à la puissance musculaire et à la capacité aérobique. En effet, le système nerveux ne peut pas augmenter la vitesse de transmission d’une impulsion électrique, il y a ainsi un faible potentiel d’amélioration du temps de réaction par l’entrainement. C’est la génétique qui est donc ici la clé.

De la même façon, les épreuves de saut sont limitées par les limites du stress des tendons, qui ne peuvent pas outrepasser une certaine limite naturelle, et ceci pourrait expliquer pourquoi la courbe d’amélioration des records dans ces spécialités est désormais pratiquement plate.

Le fait de savoir comment et dans quelle mesure la sélection génétique a aidé la progression des records mondiaux pourrait être bientôt connu, grâce à la technologie épigénétique basée sur la puce à ADN [4], qui permettra le profilage ADN et qui sera bientôt disponible.

L’introduction du coaching professionnel, des améliorations des techniques d’entrainement et l’introduction d’aides ergogéniques [5], des substances utilisées dans le but d’améliorer la performance, sous la forme de suppléments nutritionnels par exemple, ont aussi profondément modifié la performance sportive. Le fait d’étudier la science de l’économie de la course a grandement amélioré la course longue distance, alors que la technique de saut Fosbury a amélioré la performance au saut.

Atteindre un maximum

Si ces considérations sont vraies, alors les limites seront approchées, et un point sera atteint, peut-être bientôt, quand les niveaux de performance deviennent essentiellement statiques, avec un “super-athlète” occasionnel, une fois dans chaque génération, qui sera en mesure d’établir un nouveau record. En effet, cette situation pourrait être déjà apparue dans certaines épreuves, comme le saut en longueur et les courses sur courte distance, étant donné que la progression dans ces épreuves est pratiquement stoppée ou substantiellement ralentie.

Les pratiques de dopage pourraient aussi avoir joué un rôle dans la progression de certains records du monde. Plus le rôle de l’équipement et de la technologie est important dans un sport, plus les chances d’amélioration sont grandes. Ainsi, les vêtements ergonomiques ou résistants au vent et les chaussures ont permis à des coureurs d’optimiser leur consommation d’énergie.

Les performances des athlètes sont le produit de la dotation génétique, d’un dur travail et de plus en plus de la contribution de la science. Cette dernière a débuté il y a plusieurs années déjà, quand les scientifiques, les physiologistes, les nutritionnistes, les biomécaniciens et les physiciens ont commencé à mettre leur connaissance en application au bénéfice de la performance athlétique. En conséquence, le fait de seulement pratiquer un sport pendant des heures n’est plus suffisant pour permettre à un athlète de gagner.

Les limites futures de la performance athlétique seront de moins en moins déterminées par la physiologie innée de l’athlète, mais de plus en plus par les avancées scientifiques et technologiques, ainsi que par l’évolution du jugement sur ce qui est “naturel” et ce qui est artificiellement amélioré. Une étude précédente [6] avait déterminé qu’en 2007, les records mondiaux auraient atteint 99 % de leur valeur asymptotique, qui représente les limites de la performance humaine.

Bien que les records aient d’abord progressé selon un modèle linéaire dans les disciplines Olympiques athlétiques, dans la plupart des exemples la courbe de progression s’est aplatie ces 20 dernières années (comme par exemple dans la course à pieds et le saut), tandis que dans certains sports (par exemple le lancer de poids) aucune amélioration n’a été enregistrée depuis le milieu des années 1990. D’où, si les présentes conditions prévalent pour les 20 prochaines années, cela confirmera l’hypothèse selon laquelle la plupart des records masculins ne seront probablement plus améliorés, bien que certains records féminins puissent toujours être cassés, étant donné l’augmentation de la participation des femmes.

Néanmoins, si le dopage génétique faisait son apparition, nous ne serions plus en mesure de prédire quelles seraient les limites de la performance humaine. La probabilité est que les futures améliorations seront principalement dues au hasard (apparitions d’extrêmes dans la distribution normale des athlètes de haut niveau), l’utilisation d’aides mécaniques, introduction de la génétique ou d’autres formes de dopage et enfin de l’environnement ou de révolutions de l’écosystème (pollution par exemple). Ceci rendra probablement tout modèle mathématique actuel moins fiable pour prédire la progression des records mondiaux en athlétisme.

Références :

[1] Updates on improvement of human athletic performance : focus on world records in athletics. Br Med Bull (2008) 87 (1) : 7-15.

[2] Morphological Evolution of Athletes Over the 20th Century. Sports Medicine 31(11):763-83 · 2001.

[3] Updates on improvement of human athletic performance : focus on world records in athletics. Br Med Bull (2008), 87 (1) : 7-15.

[4] Nucleic Acids Res. 2006 ; 34(2) : 528–542. Microarray-based DNA methylation profiling : technology and applications

[5] Phys Ther. 1995 May ;75(5):426-39. Ergogenic aids. Thein LA, Thein JM, Landry GL.

[6] Berthelot G, Thibault V, Tafflet M, Escolano S, El Helou N, Jouven X, et al. (2008) The Citius End : World Records Progression Announces the Completion of a Brief Ultra-Physiological Quest. PLoS ONE 3(2) : e1552.

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