De l’ADN ancien, prélevé sur des fermiers Ibériques, montre que l’hypothèse largement partagée de l’absorption du calcium n’est pas la seule raison expliquant pourquoi les Européens ont évolué avec une tolérance au lait.

La plupart d’entre nous avons grandi en buvant du lait. On nous avait expliqué que c’était la meilleure boisson au monde ! Elle est pleine d’éléments nutritifs et de minéraux, de vitamines, dont la précieuse vitamine D, de protéines, de graisses et sucre sous forme de lactose.

En Occident, nous considérons que boire du lait est quelque-chose d’acquis car la plupart des Européens sont capables de produire l’enzyme lactase à l’âge adulte, et ainsi de digérer le sucre du lait qu’est le lactose. Cependant, ceci n’est pas la norme dans le monde, et ce n’était pas non plus la norme chez nos ancêtres de l’Âge de Pierre. En fait, les données génétiques ont montré que l’aptitude des adultes à produire l’enzyme lactase n’a évolué que depuis ces dix mille dernières années par une forte sélection naturelle. Sans cette enzyme, la consommation de lait peut produire des effets secondaires désagréables comme des ballonnements, des crampes, des flatulences et de la diarrhée – un trouble connu sous le nom “d’intolérance au lactose”.

Pourquoi cette caractéristique – la persistance de la lactase – a évolué si rapidement demeurait un mystère. Des archéologues et des anthropologues ont montré que la persistance de la lactase avait évolué dans les populations pastorales, et il est facile de comprendre pourquoi ; il est difficile de digérer du lait si on en boit jamais. Mais pourquoi cela était un tel avantage pour nos ancêtres ? Oddný Sverrisdóttir et ses collègues, ont essayé de répondre à cette question dans le journal scientifique Molecular Biology & Evolution [1].

Pendant longtemps les scientifiques et les cliniciens pensaient que l’avantage principal en Europe était de permettre aux fermiers d’éviter les conséquences d’une carence en calcium ; le lait est une incroyable source de calcium, et il y a un peu de vitamine D dedans aussi (la vitamine D est indispensable à l’absorption du calcium). En outre, les anciens fermiers Européens, tout spécialement ceux qui vivaient dans les régions peu ensoleillées du Nord, auraient eu des problèmes en ne fabriquant pas assez de vitamine D par la peau la plupart de l’année, et on pense qu’il n’y avait pas beaucoup de vitamine D dans leur alimentation principalement constituée de céréales.

“Pour eux, le lait pouvait avoir été le nouveau super-aliment” dit Sverrisdóttir.

Mais qu’en est-il de nos cousins vivant dans l’Espagne bien ensoleillée ? Ils ont beaucoup de soleil la plupart de l’année pour fabriquer de la vitamine D, et pourtant beaucoup d’entre eux tolèrent le lactose. Les chercheurs ont obtenu l’ADN provenant des os des premiers fermiers Espagnols, et ils n’ont pas pu retrouver la mutation qui cause cette persistance de la lactase chez les Européens.

Tirer de l’ADN d’anciens os peut être difficile, parce que l’ADN se décompose avec le temps, et les vieux échantillons sont très facilement contaminés par de l’ADN des peuples vivants (archéologues, chercheurs, etc.). Cependant, les échantillons utilisés dans cette étude étaient de très bonne qualité.

“Nous avons travaillé avec ce matériau pendant plusieurs études, et la préservation de l’ADN dans ces échantillons est excellente” dit Anders Götherström de l’Université de Stockholm, co-auteur de l’étude.

Pour voir à quel point la sélection naturelle était nécessaire pour obtenir une persistance de la lactase à la fréquence actuelle dans la région Ibérique, Sverrisdóttir a eu recours à des simulations informatiques pour trouver qu’elle devait être importante.

“Mais il y a un hic !” dit Sverrisdóttir, “si la sélection naturelle a produit l’évolution de la persistance de la lactase dans un lieu où les gens n’avaient pas de problème pour fabriquer de la vitamine D par la peau grâce au soleil, alors il est clair que l’explication par la vitamine D et le calcium (l’hypothèse de l’assimilation du calcium) n’est pas pertinente. Ainsi, tandis que l’hypothèse de l’assimilation du calcium pourrait être pertinente dans le Nord de l’Europe, elle n’est clairement pas suffisante”.

“L’évolution de la persistance de la lactase est l’un des exemples les plus connus et les plus extraordinaires des ironies de l’évolution humaine récente, pour laquelle nous savons ce qui s’est passé sans complètement comprendre pourquoi”, dit le chercheur.

La persistance de la lactase se retrouve à des fréquences importantes dans le Sud de la Suède et en Irlande. Étant donné que l’absorption du calcium n’est pas la seule raison expliquant pourquoi cette caractéristique a évolué si rapidement, les scientifiques ont proposé une autre cause :

Bien que la plupart des anciens fermiers Européens ne fûssent pas tolérants au lactose, ils auraient quand même consommé des produits au lait fermenté comme des yogourts et du fromage, parce que la fermentation transforme plus de lactose en graisse. Mais dans des conditions de famine, comme lorsque les récoltes étaient mauvaises, ils étaient plus susceptibles de manger tous les produits laitiers fermentés, ce qui ne leur laissait plus que les produits riches en lactose.

Ceci a pu causer les symptômes habituels d’intolérance au lactose comme des diarrhées. Or, la diarrhée chez des individus en bonne santé n’est habituellement pas fatale, mais dans des populations sévèrement mal nourries elle peut devenir mortelle. Ainsi, la famine pourrait avoir conduit à des épisodes de très forte sélection naturelle qui ont favorisé la persistance de la lactase.

Références :

[1] Direct estimates of natural selection in Iberia indicate calcium absorption was not the only driver of lactase persistence in Europe. Sverrisdóttir Oddný et al. (2014), Molecular Biology and Evolution.

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