“Nos ancêtres ne mangeaient pas comme ça”, est l’argument principal des nombreux régimes alimentaires modernes qui nous conseillent d’exclure un certain nombre d’aliments récents de nos assiettes, sous prétexte qu’ils ne faisaient pas partie de l’alimentation de nos lointains ancêtres. Il existe plusieurs variations sur ce thème, depuis le “régime paléolithique” global au régime sans céréales ni gluten, qui génèrent tous une formidable explosion des ventes dans les boutiques spécialisées, dans les magazines, des produits voire même des restaurants.

L’idée générale est que pendant la majeure partie des millions d’années de l’évolution nous n’étions pas exposés aux céréales, ni au lait, yaourt ou fromage, aux sucres raffinés, légumes, café ni à l’alcool. Comme ces aliments sont apparus il y a 10 000 ans environ avec l’agriculture, nos corps “finement réglés” n’auraient pas été conçus pour les gérer efficacement. La croyance est que l’évolution humaine, via la survie du plus adapté et la sélection naturelle, est un processus très lent, et nos gènes prendraient des milliers d’années pour changer. Ceci signifie que ces aliments “modernes” causeraient différents degrés d’intolérance et de réactions allergiques, ce qui résulterait non seulement en une épidémie allergique moderne, mais aussi en une inflammation causée par les toxines et à l’obésité. Ainsi, on nous recommande de suivre l’exemple de nos ancêtres paléolithiques, en supprimant ces aliments, pour définitivement régler tous nos problèmes.

Tout cela pourrait sembler éminemment raisonnable, mais il s’avère que les faits sur lesquels repose cette idée sont faux !

L’adaptation humaine

Des recherches récentes montrent que nous ne sommes pas des automates robotisés fixés à tout jamais, mais des êtres flexibles qui s’adaptent à leur environnement et beaucoup plus rapidement que nous le pensions à l’alimentation. Une étude publiée dans Nature [1] a clairement montré que les changements majeurs de nos gènes peuvent apparaitre en un millier d’années seulement, ou en quelque centaines de générations.

Les scientifiques ont cherché les mutations essentielles de l’ADN de 101 squelettes de l’Age du Bronze à travers l’Europe depuis les Pays-Bas jusqu’en Russie. Ces individus vivaient il y a 3000 ans environ et ils étaient occupés à migrer et à répandre leurs gènes. Ils ont analysé en particulier un gène clé (le lactase persistant) qui contrôlait une enzyme qui confère la capacité de digérer le lait après l’âge de trois ans. Environ les trois quarts des Européens modernes possèdent ce gène qui leur permet de digérer un verre de lait sans être malade. Les taux des mutations génétiques sont plus élevés en Europe du Nord (jusqu’à 90%) et plus faible en Europe du Sud (environ 50 %).

On pensait auparavant que la mutation de ce gène avait commencé à dominer les Européens il y a 7 000 à 10 000 ans environ avec le développement de l’agriculture et l’utilisation du lait, ainsi les résultats qui montrent que seul un individu de l’Age du Bronze sur vingt le possédait il y a 3 000 ans environ était surprenant. Cela signifie qu’il a commencé plus tard et s’est répandu plus rapidement que ce qui avait été imaginé, et qu’en conséquence nous avons commencé à nous adapter à notre nouvelle source de nourriture plus rapidement que ce que l’image de robots patauds pourrait le faire croire.

D’autres preuves génétiques des récents changements de nos gènes digestifs viennent d’une étude mondiale sur le gène de l’amylase qui est essentiel pour décomposer l’amidon en hydrates de carbone. Les individus dans des régions qui se nourrissent essentiellement d’amidon ont évolué avec de multiples copies du gène pour les aider à mieux le digérer [2]. Une étude a trouvé, en ayant recours à des jumeaux, que cette mutation protège aussi étrangement contre l’obésité [3], et que cette modification génétique est apparue en quelques centaines de générations seulement.

D’autres gènes clés concernant la digestion peuvent même évoluer plus rapidement encore. Ce sont les gènes de l’ADN des milliards de microbes présents dans notre intestin. Bien que ce ne soient pas des gènes humains, ils sont cruciaux pour notre santé car ils contrôlent notre microbiome qui digère notre nourriture et produit beaucoup de nos vitamines et métabolites sanguins. Ces gènes bactériens, présents dans notre intestin, peuvent rapidement réagir aux modifications de notre alimentation, et comme ils peuvent produire une nouvelle génération toutes les 30 minutes, ils peuvent évoluer très rapidement.

Ils ont également une arme secrète, le transfert horizontal de gènes, qui signifie qu’ils peuvent rapidement s’échanger les gènes entre eux pour en tirer des avantages mutuels, sans avoir à attendre la sélection naturelle. Ils utilisent déjà ceci de façon très efficace pour devenir résistants aux antibiotiques, et le même processus est probable pour les nouveaux aliments.

Ainsi, même si on peut prendre plaisir à avaler un steak tendance paléo ou décider de maigrir à court terme en adoptant une alimentation sans gluten, il ne faut cependant pas être leurré par les explications pseudoscientifiques qui gravitent autour de ce concept de régime alimentaire paléo, arguments qui, pour la plupart, sont dépassés. Vos gènes et vos microbes évoluent plus vite que ce que vous pouvez réaliser, et ils peuvent faire face aux nouveaux ajouts alimentaires de ces mille dernières années. Il faut cependant prendre garde à ce que nos microbes intestinaux soient en meilleure santé possible. Pour ce faire, la diversité alimentaire, et non les exclusions, est importante.

Références :

[1] Population genomics of Bronze Age Eurasia. Nature 522, 167–172, 2015.

[2] Diet and the evolution of human amylase gene copy number variation. Nature Genetics, 39, 1256 – 1260 (2007).

[3] Low copy number of the salivary amylase gene predisposes to obesity. Nature Genetics, 46, 492–497 (2014).

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