Lorsque un article scientifique a été publié le 17 mars, remettant en question le fait que les graisses insaturées végétales ou provenant du poisson étaient meilleures à la santé que celles de la viande et du beurre, cette information a rapidement fait le tour de la planète et a été abondamment reprise et commentée. Cette étude semblait réfuter l’un des fondements de la nutrition en remettant en cause de nombreuses recommandations nutritionnelles. Mais une nouvelle version de cette étude a rapidement été publiée peu de temps après dans les Annals of Internal Medicine pour en corriger plusieurs erreurs. Et bien que les auteurs restent sur leurs premières conclusions, de nombreux scientifiques critiquent cet article et demandent même son retrait.

“Ils ont fait beaucoup de dégâts”, explique Walter Willett, responsable du Département de la Nutrition à Harvard. “Je pense qu’un retrait de cet article avec une publicité comparable devrait être envisagé” dit-il.

Les autorités de la santé répètent depuis longtemps que les acides gras saturés, qu’on trouve dans le beurre, la viande, le chocolat et le fromage, augmentent le risque de maladies cardiovasculaires, et que les gens devraient, à la place, manger plus de graisses insaturées, le type de graisses qui domine dans les poissons, les noix ou les huiles végétales.

Dans leur nouvelle étude, qui est une méta-analyse, des scientifiques d’Europe et des États-Unis avaient rassemblé 72 études individuelles pour évaluer comment les différentes graisses influençaient le risque d’attaque cardiaque ou d’autres accidents cardiaques, comme l’angine de poitrine. Celles-ci comprenaient des études dans lesquelles les participants avaient été répartis au hasard dans différents groupes de régimes, tout comme des études d’observation dans lesquelles la consommation en acides gras des participants avait été déterminée en leur demandant quelle était leur alimentation, ou en mesurant le taux d’acides gras qui circulait dans leur sang.

Quand les chercheurs ont comparé les individus qui avaient les taux les plus élevés en graisses saturées et ceux qui avaient les taux les plus bas, ils n’ont pas trouvé de différence dans les risques de maladie cardiovasculaire, ni dans d’autres accidents cardiaques. De même qu’ils n’avaient pas trouvé de différence importante entre ceux qui consommaient beaucoup ou peu de graisses insaturées, supposées être bonnes à la santé. “Les éléments de preuve actuels ne confirment pas clairement les recommandations qui visent à encourager une forte consommation d’acides gras polyinsaturés et une faible consommation de graisses saturées” concluaient alors les auteurs de l’étude [1].

Mais avant même que l’article soit publié, d’autres scientifiques avaient commencé à en souligner les erreurs. Par exemple, les auteurs ont pris une étude sur les oméga-3, un des types de graisses insaturées, pour en déduire un effet légèrement négatif alors qu’en fait elle indiquait un fort effet positif. La correction montrait que la méta-analyse disait désormais que les gens qui mangeaient beaucoup de cette graisse en particulier avaient beaucoup moins de maladies cardiovasculaires ; alors qu’auparavant la conclusion laissait entendre qu’il n’y avait pas d’effet.

Les critiques ont alors fait remarquer deux études importantes sur les acides gras oméga-6 que les auteurs avaient manquées. Les erreurs montraient que cette recherche était de mauvaise qualité, et on pouvait légitimement se poser la question de savoir s’ils n’en avaient pas oubliées d’autres. Certains scientifiques ont fait remarquer que s’ils avaient été les relecteurs de cette étude, ils l’auraient tout simplement rejetée.

Mais les critiques ont ajouté que cet article posait d’autres problèmes. Par exemple, il ne parlait pas de ce qu’avaient mangé, à la place, les individus qui avaient réduit leur consommation de graisses saturées. Car une analyse de 2009 [2] avait conclu que le fait de remplacer les graisses saturées par des hydrates de carbone n’apportait aucun bénéfice, alors que le fait de les remplacer par des graisses polyinsaturées diminuait le risque de maladie de cœur. Plusieurs scientifiques déclarent que ceci aurait dû être mentionné dans ce nouvel article.

Les auteurs affirment que les conclusions demeurent cependant valides, même après les corrections. Les études cliniques randomisées sont le type de preuve le plus “solide”, disent-ils, et celles-ci ne montrent pas d’effet important des graisses saturées ni insaturées. Mais même l’un des auteurs de l’article, Dariush Mozaffarian de Harvard, admet qu’il n’est pas très satisfait de la conclusion selon laquelle les preuves ne confirment pas un bénéfice des graisses polyinsaturées. “Personnellement, je pense que les résultats suggèrent qu’il faut encourager la consommation d’huile végétale et de poisson” dit-il. Mais l’article a été écrit par un groupe d’auteurs, et la science n’est pas une dictature.

Un autre auteur de l’étude, Emanuele Di Angelantonio de l’Université de Cambridge, déclare que le problème principal est que l’article a été “très mal interprété par les médias”. “Nous ne disons pas que les lignes directives sont fausses, et que les gens peuvent avaler autant de graisses saturées qu’ils le désirent. Nous disons qu’il n’y pas de confirmation solide pour ces recommandations, et qu’il nous faut d’autres bonnes études”.

Des chercheurs déclarent que corriger l’article ne suffit pas. C’est une bonne chose qu’ils l’aient corrigé, mais il a causé énormément de confusion et le public n’a, lui, pas corrigé et n’a pas entendu parler de ces corrections. L’étude doit, selon eux, être retirée.

Cette controverse doit servir d’avertissement à propos des méta-analyses. De telles études compilent des données provenant de plusieurs études individuelles pour en tirer un résultat plus clair. C’est comme un résumé qui balaie toutes les données, à ce titre, il doit faire l’objet de beaucoup d’attention. Mais de nos jours, les méta-analyses sont souvent faites par des gens qui ne sont pas familiers avec le domaine traité, qui n’ont pas les données fondamentales ou qui ne font pas l’effort de les obtenir. Et alors que les études sur les médicaments se ressemblent souvent dans leur conception, ce qui facilite l’association de leurs résultats, les études sur la nutrition varient grandement dans leur méthodologie. Souvent, les forces et les faiblesses des études prises individuellement se perdent, ce qui est fort risqué.

Références :

[1] Association of Dietary, Circulating, and Supplement Fatty Acids With Coronary Risk : A Systematic Review and Meta-analysis. Ann Intern Med. 2014 ;160(6):398-406-406.

[2] Major types of dietary fat and risk of coronary heart disease : a pooled analysis of 11 cohort studies. Am J Clin Nutr May 2009 vol. 89 no. 5 1425-1432.

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