Vous vous sentez fatigué(e) aujourd’hui ? Votre style de vie actif vous use-t-il ? Ou bien est-ce un signe d’autre chose ? Les plaintes à propos de la fatigue semblent omniprésentes. Peut-être est-ce un produit de la culture causé par trop peu de sommeil. Pourtant, d’un point de vue médical, la fatigue ne peut pas être balayée d’un revers de main en recommandant simplement de “dormir plus”.

Mais la tendance est forte de vouloir passer aux compléments alimentaires de fer pour tenter d’atténuer cette fatigue. À un certain degré, les adeptes de la pilule ont vu juste : la fatigue et le fer sont habituellement liés. La carence en fer est la carence nutritionnelle la plus fréquemment rencontrée dans le monde [1]. Et la carence en fer est la principale cause de l’anémie. Les statistiques sont remarquables, dans les pays en voie de développement, 50% des femmes enceintes et 40% des enfants sont anémiques, résultat d’une carence en fer tout comme d’autres maladies. Contrairement aux autres carences en vitamines, l’anémie est aussi présente dans une large mesure dans les pays développés : 19% de la population en Amérique et 10% en Europe. La fréquence est plus élevée chez les femmes, particulièrement enceintes et jeunes.

Ainsi pourquoi pas une étude sur les suppléments de fer ? “La perte de fer explique pourquoi vous êtes toujours fatigué” déclarent les magazines féminins. Ce type de déclaration repose sur un article qui suggère que les suppléments de fer pourraient réduire la fatigue [2] même chez ceux qui ne sont pas anémiques. Mais est-ce que prendre des suppléments constitue une garantie sur cette base ? Dans certains cas, il se pourrait que cette approche soit mauvaise. La fatigue est un symptôme qui n’est pas spécifique, ainsi les causes sérieuses devraient être éliminées avant de penser à prendre un tel traitement. Les problèmes médicaux ou psychiatriques peuvent causer de la fatigue, la dépression comptant parmi les plus fréquentes. Les médicaments sont aussi une cause importante et directe (et souvent oubliée) de fatigue. Cette longue liste comprend les antihistaminiques, les narcotiques opioïdes, les myorelaxants et certain antidépresseurs. Le syndrome de fatigue chronique est rare mais est une cause handicapante de fatigue qui doit aussi être prise en considération.

Un check-up médical comprend habituellement un examen physique et des inspections en laboratoire pour éliminer les causes spécifiques comme un dysfonctionnement thyroïdien, un cancer, l’arrêt cardiaque et d’autres états physiques. Les tests en laboratoire comprennent ceux de l’hémoglobine et de la ferritine, deux mesures pour évaluer les stocks de fer dans le sang. Le corps contient environ 4 grammes de fer. Deux grammes se trouvent dans l’hémoglobine des globules rouges et l’essentiel du reste est stocké dans la ferritine. C’est là que qu’on peut déceler une carence en fer.

S’il y a confirmation de la présence d’anémie, il faut pousser plus loin. L’anémie est habituellement due à une augmentation de la perte de fer, ou à une diminution des apports. Le fait de stabiliser la carence, sans en identifier la cause, est stupide. La perte de fer peut être un signal de maladies comme un cancer. Ou il se pourrait que cela soit quelque-chose de plus direct. Une grossesse et les menstruations sont des causes fréquentes. La maladie cœliaque est aussi possible. Une absorption réduite est une cause moins fréquente d’anémie, mais plusieurs médicaments peuvent faire empirer les choses.

Lorsque les causes de perte ont été étudiées, les traitements considérés sont plus simples. Pour la plupart des gens, les compléments alimentaires de fer sont efficaces, peu chers et (généralement) bien tolérés. Quand les suppléments de fer sont nécessaires, voici quelques éléments à prendre en compte :

 le degré auquel les différents types de suppléments causent des effets secondaires semble être directement lié à la quantité de fer élémentaire par pilule. Une lente libération et d’autres formes de fer sont plus chers et pourraient être mieux tolérés, mais pourraient aussi contenir moins de fer.

 Le fer devrait être pris l’estomac vide pour en maximiser l’absorption, mais peu de gens semble le tolérer. C’est un compromis, et il faut déterminer ce qui marche le mieux. Mieux vaut trouver un programme de dosage et s’y tenir, plutôt que de se rendre malade avec des suppléments ou d’arrêter trop tôt.

 Pour une tolérance et absorption maximales, il faut répartir les doses dans la journée.

 La vitamine C pourrait aider l’absorption de fer [3]. Prendre un comprimé avec chaque dose peut être envisagé. D’autres préfèrent prendre un jus d’orange à la place.

 Les suppléments de fer sous forme liquide ont la cote, ils représentent un moyen peu commode et cher de reconstituer ses stocks de fer. Mieux vaut commencer avec des comprimés génériques de fer, et les liquides seulement quand les autres formes de dosages ont échoué.

 Les fèces vont noircir. Ne vous effrayez pas, le fer n’est pas totalement absorbé.

 Pour reconstituer des niveaux bas de fer, il faut viser les 150-200 mg de fer élémentaire par jour. 300 mg par jour est à peu près le maximum que les gens peuvent tolérer.

Il existe des données qui suggèrent qu’il y a un lien entre les niveaux de fer et le cancer, et d’autres qui ont tiré des associations entre une forte consommation de fer et les maladies cardiovasculaires. Alors que les relations demeurent obscures, cela suggère que prendre des suppléments en l’absence de carence pourrait ne pas être sans risques. Le fer est toxique et même fatal à fortes doses. Chez les enfants, trop de fer est beaucoup plus toxique que de nombreuses prescriptions de médicaments, et est une cause principale de décès par empoisonnement (dix pilules de sulfate de fer pour adultes peuvent tuer un petit enfant [4]). Concernant la supplémentation quotidienne en l’absence de carence, les adultes qui prennent plus de 45 mg de fer élémentaire par jour ne risquent en général pas grand-chose. Les pilules multivitaminées pour les femmes enceintes contiennent habituellement une petite quantité de fer pour contrecarrer les pertes dues à la grossesse.

Les stocks de fer peuvent être épuisés avant que l’anémie soit présente. On pense traditionnellement que la fatigue associée à une carence en fer est due à une anémie. Cette hypothèse a été testée dans une étude publiée dans le Canadian Medical Association Journal [5] qui a étudié 198 femmes ménopausées qui se plaignaient de fatigue, avec de faibles niveaux de ferritine mais sans anémie, qui ont reçu soit du fer soit un placebo. Toutes les autres causes d’anémies avaient été éliminées avant de participer à l’étude. Les deux groupes recevant les deux traitements étaient identiques à l’exception notable que le groupe qui prenait du fer avait des femmes avec beaucoup moins d’hémoglobine ou de ferritine. Cependant, les valeurs moyennes étaient similaires. À noter aussi que l’étude avait été financée par le fabricant du complément alimentaire de fer étudié.

Le traitement consistait en 80 mg par jour de fer élémentaire (emballé dans une pilule à libération lente associée à de la vitamine C) pendant 12 semaines. Les deux groupes ont vécu une amélioration avec le traitement, évaluée par une échelle valide qui mesure la fatigue sur un score allant de 0 à 40. Étant donné que la fatigue peut aller et venir, il est possible qu’ils aient débuté l’étude pendant un moment de forte fatigue qui se serait simplement améliorée avec le temps. Il y avait une modeste amélioration sur le placébo dans le groupe prenant le fer : les femmes qui prenaient du fer ont rapporté une nette amélioration de 3,5 points contre le placébo, ce qui était à peine significatif statistiquement. Et étant donné les subtiles différences entre les groupes, le résultat n’est pas très convaincant.

Bien que cela ait été annoncé par les fournisseurs comme une amélioration de 50%, il est très difficile de dire s’il s’agit d’une amélioration réelle et significative. Dans une analyse suivante, les auteurs ont estimé un nombre nécessaire à traiter de 10 [6] ce qui veut dire que 10 femmes ayant rapportant être fatiguées, ont besoin d’être traitées pendant 12 semaines pour qu’une seule femme éprouve moins de fatigue 12 semaines plus tard. Pas si impressionnant que ça ! Au contraire des comptes-rendus subjectifs de fatigue, les mesures objectives se sont toutes améliorées comme prévu, y compris la ferritine, l’hémoglobine et les autres. Le caractère aveugle de l’étude semble avoir été respecté car toutes les femmes se sont plaintes de troubles gastro-intestinaux. La conclusion de cette étude semble être que les suppléments de fer en l’absence d’anémie restaurent les mesures biochimiques, mais que leur effet sur la fatigue est modeste.

La course à pieds est depuis longtemps associée à une perte de fer depuis des années [7] mais qu’en est-il d’une prise de suppléments de fer pour prévenir toute possible anémie ? Les données suggèrent qu’une carence en fer chez les coureurs masculins est rare [8] ainsi prendre des suppléments en l’absence de carence reconnue n’est pas utile. Pour les athlètes féminines, la carence et l’anémie sont plus fréquentes [9]. Mais cela ne justifie pas forcément de prendre des suppléments de fer : maximiser la consommation de fer par l’alimentation suffit la plupart du temps [10]. La viande apporte du fer hémique qui est bien absorbé, et du fer non hémique qui ne l’est pas. Les légumes ne contiennent que du fer non hémique. Les végétariens, surtout les femmes, et encore plus les végétariennes sportives, doivent enregistrer avec soin leur régime pour s’assurer qu’elles consomment assez de fer.

Conclusion

La fatigue peut être causée par tout un ensemble de conditions. La carence en fer est fréquente, bien que le fait qu’il soit bénéfique de prendre des suppléments de fer en l’absence d’anémie n’est pas prouvée. Les enfants et les femmes, surtout enceintes, ont besoin d’un apport adéquat en fer dans leur alimentation. Alors que des suppléments faiblement dosés sont sans danger voire utiles, une supplémentation spécifique n’est pas nécessaire ni recommandable en l’absence de carence manifeste. Et le fait que ce soit un supplément ne veut pas dire que ce n’est pas dangereux. Les suppléments de fer peuvent être toxiques pour les enfants.

Références :

[1] Micronutrient deficiencies. Organisation Mondiale de la Santé.

[2] Effect of iron supplementation on fatigue in nonanemic menstruating women with low ferritin : a randomized controlled trial. Paul Vaucher, Pierre-Louis Druais, Sophie Waldvogel, Bernard Favrat, Canadian Medical Association Journal, 184 (11) 1254. DOI : 10.1503/cmaj.110950.

[3] Effect of ascorbic acid on iron absorption from different types of meals. Studies with ascorbic-acid-rich foods and synthetic ascorbic acid given in different amounts with different meals. Hum Nutr Appl Nutr. 1986 Avr ;40(2):97-113.

[4] Iron poisoning in young children : association with the birth of a sibling. David Juurlink, Milton Tenenbein, Gideon Koren, Donald Redelmeier.

[5] Effect of iron supplementation on fatigue in nonanemic menstruating women with low ferritin : a randomized controlled trial. Paul Vaucher, Pierre-Louis Druais, Sophie Waldvogel, Bernard Favrat, Canadian Medical Association Journal, 184 (11) 1254. DOI : 10.1503/cmaj.110950.

[6] http://www.cmaj.ca/content/184/11/1…

[7] Gastrointestinal blood loss and anemia in runners. Stewart JG, Ahlquist DA, McGill DB, Ilstrup DM, Schwartz S, Owen RA. Ann Intern Med. 1984 Jun ;100(6):843-5.

[8] Iron excess in recreational marathon runners. Mettler S, Zimmermann MB. Eur J Clin Nutr. 2010 May ;64(5):490-4. Epub 2010 Mar 3.

[9] Anemia and iron status in young fertile non-professional female athletes. Di Santolo M, Stel G, Banfi G, Gonano F, Cauci S. Eur J Appl Physiol. 2008 Apr ;102(6):703-9. Epub 2007 Dec 19.

[10] http://ods.od.nih.gov/factsheets/Ir…

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