Quand on est un habitué des salles de sport, on ne peut qu’être stupéfait par la large gamme des concoctions en tous genres que certains adeptes de la musculation avalent après leur entrainement. On peut y trouver de tout : depuis les pilules et les poudres jusqu’aux boissons de toutes les couleurs. Leur objectif est toujours le même : faire autant de muscle que les athlètes ou les bodybuilders qui en font la promotion dans les magazines ou sur internet !

Le marché des produits de nutrition sportive est un marché de plusieurs milliards, et il augmente rapidement. Réservé auparavant aux bodybuilders et aux athlètes de haut niveau, les amateurs sont de plus en plus gros consommateurs de ces suppléments notamment avec la popularité croissante des courses d’obstacles, des trails, des entrainements intensifs ou du crossfit, qui sont des domaines que les fabricants de ce type de produits ciblent particulièrement.

Les produits qui contiennent des acides aminés à chaine branchée (BCAA) constituent une catégorie parmi les plus populaires. Ceux-ci semblent apporter tous les bénéfices pour la stimulation musculaire après l’entrainement, sans les inconvénients de la nourriture. Mais est-ce que ces produits marchent vraiment, ou y a-t-il d’autres moyens plus efficaces pour rentabiliser son entrainement ?

Aliments contre suppléments

Les protéines dans nos muscles se reconstituent sans cesse, en étant simultanément décomposées et reconstituées (“synthétisées”). Chez les jeunes adultes en bonne santé, le taux auquel ces deux processus se produisent est habituellement le même. Mais pour faire croitre les muscles, le taux de la synthèse doit être plus important que le taux de la dégradation. Vous pouvez faire cela en associant un entrainement avec des poids et haltères tout en consommant des aliments riches en protéines, comme le lait entier [1], ou les acides aminés isolés dérivés des protéines [2].

Les acides aminés sont les composants de base des protéines et des muscles. Ils viennent de 22 variétés différentes. Une large gamme d’expériences a montré que trois d’entre eux sont particulièrement efficaces pour activer la machinerie responsable de l’augmentation de la synthèse protidique des muscles. Il s’agit de la leucine, de l’isoleucine et de la valine, collectivement connus comme étant les BCAA.

Les entreprises qui vendent des suppléments vendent beaucoup de produits qui contiennent des BCAA, à partir de divers résultats sur leur importance, qui proviennent principalement de tests sur des animaux [3]. En effet, les études montrent que la leucine est particulièrement efficace pour activer la synthèse protidique du corps [4]. De nombreuses personnes en prennent donc en croyant que le fait de consommer des BCAA va produire une réaction de croissance musculaire aussi importante que la même quantité sous forme de nourriture, mais sans les calories ni les problèmes liés au transport de la nourriture.

Pourtant, des travaux plus récents ont montré autre chose. Nous savons par exemple que vous pouvez réaliser une augmentation substantielle de la synthèse protidique avec 20 gr de protéines d’œufs, ce qui fait environ trois gros œufs, ou avec 20 gr de protéines de petit lait (whey) [5] [6], bien que pour avoir la réponse maximale après un entrainement, la recherche sur la whey montre qu’il peut être nécessaire d’en consommer jusqu’à 40 grammes [7].

Dans des conditions très similaires en laboratoire, des sujets masculins ont reçu 5,6 gr de BCAA après une séance de musculation, c’est-à-dire l’équivalent de 20 gr de protéines whey [8]. La réponse de synthèse protidique qui en a résulté n’était que de 22 %, ou environ la moitié de ce qui aurait été réalisé avec la même dose de protéines de petit lait [9].

Quelle est la raison de cette différence ? Différentes études montrent que pour réaliser une réaction de croissance musculaire totale, il faut un apport suffisant de tous les acides aminés [10] [11]. Cela semble logique : c’est comme construire un mur de briques dans lequel il faudrait 22 types de briques différentes pour le faire correctement. Les BCAA pourraient agir comme un chef de chantier qui fait travailler ensemble tous les hommes et la machinerie indispensable pour construire le mur. Mais vous pouvez toujours construire ce mur sans le reste des briques, sans tenir compte des instructions du chef de chantier aux maçons.

En d’autres termes, après l’exercice vous avez besoin de sources de protéines qui apportent un grande dose de BCAA et des quantités suffisantes de tous les autres acides aminés, avec par exemple la viande, les produits laitiers et les œufs. Et pas seulement des BCAA qui sont moins bien équipés pour faire le mur de muscles, le fait de les consommer par eux-mêmes, isolément, créé potentiellement une sorte de compétition avec les autres acides aminés pour leur absorption à travers la paroi intestinale. Ainsi, il pourrait être plus difficile pour le corps de rassembler les autres “briques” essentielles à la construction musculaire [12].

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À côté de la construction des muscles, les gens consomment aussi des BCAA (et d’autres suppléments) pour atteindre ce qu’on appelle la “fenêtre anabolique” [13], c’est-à-dire la période temps disponible après un entrainement, souvent entre 30 minutes et deux heures, pendant laquelle le fait de consommer des protéines et/ou des acides aminés profiterait à la fabrication de muscle.

Les études montrent que le timing de la nutrition après l’entrainement n’est pourtant pas aussi important que ce qu’on peut croire [14]. Il y a largement le temps de rentrer à la maison et de se préparer un bon repas, sans doute jusqu’à 48 heures après [15], du moment que ce repas contient entre 25 et 30 grammes de protéines de bonne qualité [16]. Pour maximiser la fabrication de muscle, il faut aussi s’assurer que l’on ingère 130 gr de protéines sur toute la journée considérée globalement [17].

Enfin, il y a des études qui montrent des bénéfices potentiels des BCAA quand il s’agit d’optimiser la composition du corps, pour conserver la masse musculaire au même niveau tout en réduisant la graisse [18]. Ces études ont cependant été critiquées pour leurs analyses statistiques incorrectes et leurs incohérences dans le report des données [19].

Ainsi, là où la fabrication de muscle est l’objectif final, il faut privilégier l’approche “alimentation d’abord”. Cela veut dire qu’il faut s’en tenir aux aliments, à moins que vous n’ayez pas assez de temps pour atteindre les niveaux de protéines nécessaires, dans ce cas un rapide shaker de protéines en poudre peut être une solution alternative pratique et efficace.

Le fait de consommer des aliments riches en protéines contribue aussi aux besoins nutritionnels journaliers pour tout un ensemble de minéraux et de vitamines, ce qui manque souvent aux suppléments [20]. Le fait de s’en tenir à une alimentation normale va aussi vous aider à éviter le risque de consommer des substances “interdites” via les suppléments. Une étude de 2007, qui avait testé 58 compléments alimentaires, avait trouvé qu’environ un quart d’entre eux était contaminé par ce type de substances [21].

Pour conclure, il ne faut pas “baver” devant les bouteilles multicolores ou fluorescentes des boissons que vos partenaires ou collègues de salle avalent, ni par les noms “suggestifs” de certains compléments alimentaires qui veulent faire croire en une stimulation hormonale ou de la croissance musculaire, ces produits (et leurs noms) sont davantage le fruit de l’imagination des mercaticiens que de leur réelle efficacité. Quoi qu’ils écrivent sur les étiquettes de leur boites ou bouteilles, ces produits rendent le développement musculaire plus compliqué et moins efficace.

Références :

[1] Med Sci Sports Exerc. 2006 ; 38(4):667-74. Milk ingestion stimulates net muscle protein synthesis following resistance exercise.

[2] Am J Physiol. 1999. Postexercise net protein synthesis in human muscle from orally administered amino acids.

[3] Branched-chain amino acids and muscle protein synthesis in humans : myth or reality ? Journal of the International Society of Sports Nutrition, 2017.

[4] Leucine does not affect mechanistic target of rapamycin complex 1 assembly but is required for maximal ribosomal protein s6 kinase 1 activity in human skeletal muscle following resistance exercise. The FASEB Journal, vol. 29 no. 10 4358-4373.

[5] Ingested protein dose response of muscle and albumin protein synthesis after resistance exercise in young men. Am J Clin Nutr, 2009, vol. 89 no. 1 161-168.

[6] Am J Clin Nutr. 2014. Myofibrillar muscle protein synthesis rates subsequent to a meal in response to increasing doses of whey protein at rest and after resistance exercise.

[7] The response of muscle protein synthesis following whole‐body resistance exercise is greater following 40 g than 20 g of ingested whey protein. Physiological Reports, 2016.

[8] Front Physiol. 2017. Branched-Chain Amino Acid Ingestion Stimulates Muscle Myofibrillar Protein Synthesis following Resistance Exercise in Humans.

[9] Am J Clin Nutr. 2014 ; 99(1):86-95. Myofibrillar muscle protein synthesis rates subsequent to a meal in response to increasing doses of whey protein at rest and after resistance exercise.

[10] J Physiol. 2012 ; 590(11):2751-65. Supplementation of a suboptimal protein dose with leucine or essential amino acids : effects on myofibrillar protein synthesis at rest and following resistance exercise in men.

[11] Am J Clin Nutr. 2014 ;99(2):276-86. Leucine supplementation of a low-protein mixed macronutrient beverage enhances myofibrillar protein synthesis in young men : a double-blind, randomized trial.

[12] Am J Clin Nutr. 2014. Leucine supplementation of a low-protein mixed macronutrient beverage enhances myofibrillar protein synthesis in young men : a double-blind, randomized trial.

[13] Brad Schoenfeld, et al. The effect of protein timing on muscle strength and hypertrophy : a meta-analysis. Journal of the International Society of Sports Nutrition, 2013.

[14] The effect of protein timing on muscle strength and hypertrophy : a meta-analysis. Journal of the International Society of Sports Nutrition, 2013.

[15] Protein consumption and resistance exercise : maximising anabolic potential, Stuart M. Phillips, 2013.

[16] Protein Ingestion to Stimulate Myofibrillar Protein Synthesis Requires Greater Relative Protein Intakes in Healthy Older Versus Younger Men. The Journals of Gerontology : Series A, Vol 70, Iss 1, 2015, pp 57–62.

[17] A systematic review, meta-analysis and meta-regression of the effect of protein supplementation on resistance training-induced gains in muscle mass and strength in healthy adults. British Journal of Sport Medicine.

[18] J Int Soc Sports Nutr. 2016. In a single-blind, matched group design : branched-chain amino acid supplementation and resistance training maintains lean body mass during a caloric restricted diet.

[19] J Int Soc Sports Nutr. 2016 ; 13 : 21. The data do not seem to support a benefit to BCAA supplementation during periods of caloric restriction.

[20] Commonly consumed protein foods contribute to nutrient intake, diet quality, and nutrient adequacy. Am J Clin Nutr, 2015, vol. 101 no. 6 1346S-1352S.

[21] Investigation into supplements contamination levels in the US market. HFL 2007.

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