Les avantages des femmes qui choisissent l’allaitement ont probablement biaisé les résultats des recherches passées.

Une nouvelle étude [1] qui a comparé des jumeaux ayant été nourris de différentes manières pendant leur enfance, montre que l’allaitement au sein pourrait ne pas être plus bénéfique que l’allaitement au biberon sur 10 des 11 critères de la santé et du bien-être sur le long terme, chez des enfants âgés de 4 à 14 ans.

Le seul qui sorte du lot est l’asthme, qui a plus été associé à l’allaitement au sein que par biberon. L’étude a également inclus une analyse des résultats à travers les familles de différentes ethnies et de différentes catégories socioéconomiques dans un objectif de comparaison, et ces résultats correspondent à d’autres études qui ont montré que les bénéfices pour les enfants d’un l’allaitement au sein l’emportaient sur ceux au biberon.

L’auteur de l’étude, Cynthia Colen, explique qu’il y a une raison claire expliquant cela : “de nombreuses études souffrent d’un biais de sélection. Elles ne contrôlaient pas, ou ne pouvaient pas contrôler statistiquement des facteurs comme l’ethnie, l’âge, les revenus du foyer, le travail de la mère, des éléments dont nous savons maintenant qu’ils peuvent modifier les résultats de l’allaitement et de la santé. Les mamans qui ont plus de ressources, avec des niveaux d’éducation plus élevés et des niveaux de revenus plus importants, ainsi que davantage de flexibilité dans leur emploi du temps quotidien, sont plus susceptibles d’allaiter leurs bébés au sein, et de pouvoir le faire plus longtemps”.

Une recherche précédente avait identifié des modèles évidents de disparités ethniques et socioéconomiques entre les femmes qui allaitaient et celles qui n’allaitaient pas, ce qui compliquait un choix déjà exigeant pour des femmes qui travaillent à l’extérieur de leur domicile, dans des emplois qui leur offrent peu de flexibilité et leur laissent peu de temps pour la maternité.

L’étude de Colen a analysé les bénéfices des pratiques d’allaitement des nourrissons sur des enfants âgés de 4 à 14 ans, au-delà de la simple investigation des effets de l’allaitement sur les bébés. Les autorités de la santé ayant déclaré que le fait d’allaiter les bébés était une priorité, cela pouvait stigmatiser les femmes qui ne pouvaient pas choisir de nourrir leur enfant dans ce sens, dit-elle.

“Je ne dis pas que l’allaitement n’est pas bénéfique, notamment pour ce qui est de stimuler la nutrition et l’immunité chez les nouveau-nés” dit Colen. “Mais si nous voulons vraiment améliorer la santé maternelle et infantile, mieux vaut se focaliser sur des choses qui peuvent vraiment être utiles à long terme, comme subventionner les soins de tous les jours, avoir de bonnes politiques de la maternité et des opportunités d’emplois pour les femmes à bas revenus qui payent une assistante maternelle, par exemple”.

Les différences démographiques à travers les familles qui peuvent biaiser les études en faveur de l’allaitement au sein sont l’ethnie, l’âge, le statut marital, les revenus du foyer, la couverture maladie, l’éducation de la mère et l’emploi, et enfin si une femme fume ou boit pendant sa grossesse.

“Quand nous avons des mères plus avantagées qui choisissent d’allaiter, et que nous savons que ces caractéristiques vont aussi affecter les résultats en matière de santé, on ne sait pas vraiment ce qui affecte quelque-chose comme l’obésité, est-ce l’allaitement en soi ou ces autres caractéristiques familiales ?” dit Colen.

Elle a utilisé les données venant d’une étude de 1979, la National Longitudinal Survey of Youth (NLSY), qui est un échantillon représentatif de jeunes hommes et femmes qui avaient entre 14 et 22 ans en 1979, tout comme les résultats des enquêtes de cette étude entre 1986 et 2010 des enfants nés des femmes de la cohorte de 1979. Les enfants étaient âgés de 4 à 14 ans sur la période étudiée.

La chercheuse a analysé trois échantillons : 8237 enfants, 7319 frères et sœurs et 1773 paires de frères et sœurs “discordants”, ou des enfants de 665 familles interrogées dans lesquelles au moins un enfant avait été allaité au sein et au moins un autre enfant buvait le biberon. Les enfants qui avaient été nourris différemment dans une même famille représentaient environ 25% des frères et sœurs dans les données.

Pour chaque échantillon, les chercheurs ont cherché les réponses à deux questions de base : est-ce qu’au moins un des enfants a été allaité au sein, et si oui, quelle a été la durée de cet allaitement ?

L’étude a mesuré 11 résultats qui se retrouvent souvent dans les autres études sur les effets de l’allaitement au sein : l’indice de masse corporelle (IMC), l’obésité, l’asthme, l’hyperactivité, l’attachement parental (les relations entre les parents et l’enfant) et le comportement de l’enfant, tout comme des éléments indiquant une réussite scolaire en vocabulaire, le niveau de lecture, les aptitudes en mathématiques, l’intelligence et la compétence scolaire.

Comme ils s’y attendaient, les analyses des échantillons des adultes et de leurs enfants dans les familles ont montré que l’allaitement avait de meilleurs résultats que pour les enfants nourris au biberon dans un certain nombre de mesures : IMC, hyperactivité, aptitudes mathématiques, mémoire des chiffres, lecture, vocabulaire, compétence scolaire et obésité.

Mais lorsque l’échantillon était limité aux frères et sœurs qui étaient nourris différemment à l’intérieur des mêmes familles, les scores qui faisaient ressortir des effets positifs sur 10 des 11 indicateurs de la santé des enfants et de leur bien-être étaient proches de zéro, et n’étaient statistiquement pas significatifs – ce qui veut dire que les différences pourraient être apparues seulement par hasard.

Le résultat qui sortait du lot dans cette étude était l’asthme ; dans tous les échantillons, les enfants qui avaient été allaités au sein avaient plus de risques d’avoir de l’asthme, ce qui peut être associé aux données produites par des comptes rendus plutôt que par des diagnostics réels.

Voici certains exemples de bénéfices qui changent : l’influence bénéfique de l’allaitement sur l’IMC qui avait été décelée dans les études passées est réduite de 66% entre les frères et sœurs au sein d’une même famille. La magnitude des effets bénéfiques de l’allaitement pour les mathématiques, la lecture, le vocabulaire et l’intelligence baissent respectivement de 69 et 29% quand ces aptitudes sont comparées entre frères et sœurs d’une même famille.

“Au lieu de comparer des enfants de différentes familles, nous avons comparé les membres d’une même famille en prenant totalement en compte toutes les caractéristiques – mesurées ou non – qui diffèrent d’une famille à une autre telles que l’éducation parentale, les revenus du foyer et l’ethnie” explique Colen.

Ces mêmes différences d’échantillon ont été trouvées dans l’analyse des effets de la durée de l’allaitement.

“Si l’allaitement n’a en fait pas l’impact que nous pensions qu’il a sur l’enfant sur le long terme, alors même s’il est important à court terme, nous devons vraiment nous concentrer sur d’autres choses” dit-il. “Nous devons analyser la qualité de l’école, du logement et le type de travail qu’ont les parents quand leurs enfants grandissent”.

“Nous devons être plus attentifs à ce qui se passe la première année de la vie et comprendre que l’allaitement pourrait être très difficile, voire même intenable, pour certaines femmes. Plutôt que de les culpabiliser, il vaudrait mieux être plus réaliste sur ce que l’allaitement apporte réellement, et n’apporte pas”.

Références :

[1] Cynthia Colen, David Ramey. Is Breast Truly Best ? Estimating the Effects of Breastfeeding on Long-term Child Health and Wellbeing in the United States Using Sibling Comparisons. Social Science & Medicine, 2014 ; DOI : 10.1016/j.socscimed.2014.01.027.

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