L’acide lactique n’est pas un poison pour les athlètes, mais une source d’énergie… si vous savez vous en servir.

Dans l’esprit des marathoniens et des athlètes de l’extrême, l’acide lactique est considéré comme un poison, un produit de rebut qui se fabrique dans les muscles et qui provoque une fatigue musculaire, réduit les performances et cause la douleur.

Mais 30 ans de recherches à l’Université de Californie, Berkeley, racontent cependant une toute autre histoire : l’acide lactique peut être votre ami.

Les entraîneurs et les athlètes ne le réalisent pas, explique George Brooks, professeur de biologie intégrative et physiologiste à Berkeley, mais l’entraînement d’endurance enseigne au corps à utiliser plus efficacement l’acide lactique comme source de carburant, de paire avec les hydrates de carbone stockés dans les tissus musculaires et le sucre dans le sang. Une utilisation efficace de l’acide lactique, ou lactate, non seulement prévient la fabrication de lactate, mais fait gagner plus d’énergie de carburant du corps.

Dans un article publié dans le Journal of Physiology – Endocrinology and Metabolism [1], Brooks et ses collègues Takeshi Hashimoto et Rajaa Hussien, du laboratoire de physiologie de Berkeley, ont ajouté la dernière pièce du puzzle à l’histoire du lactate et ont aussi associé pour la première fois les deux cycles métaboliques, le métabolisme aérobique de l’oxygène et le métabolisme anaérobique sans oxygène, que l’on croyait distincts.

“Il s’agit d’un changement fondamental dans la conception du métabolisme” dit Brook. “Ceci nous montre comment le lactate est le lien entre les métabolismes oxydatif et glycolytique, ou anaérobique.”

Lui et ses collègues de Berkeley ont trouvé que les cellules musculaires utilisaient les hydrates de carbone de façon anaérobique pour l’énergie, produisant du lactate comme sous-produit, mais qu’elles brûlaient ensuite le lactate avec de l’oxygène pour créer encore plus d’énergie. Le premier processus, appelé la voie glycolytique, domine durant l’effort normal, et le lactate filtre hors des cellules musculaires dans le sang pour être utilisé ailleurs. Cependant, pendant un exercice intense, le second augmente pour retirer le lactate accumulé rapidement et créer plus d’énergie.

L’entraînement aide les sportifs à se débarrasser de leur acide lactique avant qu’il se développe de façon à causer une fatigue musculaire, et au niveau cellulaire, dit Brooks, l’entraînement signifie une croissance des mitochondries dans les cellules musculaires. La mitochondrie, souvent appelée la “centrale énergétique de la cellule”, est le lieu où le lactate est brûlé pour être converti en énergie.

“Le meilleur athlète du monde reste compétitif grâce à un entraînement fractionné” dit Brooks, faisant référence à des morceaux d’exercice courts, répétés, mais intenses. “L’exercice intensif génère de grosses quantités de lactate, et le corps s’adapte en fabricant de la mitochondrie pour rapidement éliminer l’acide lactique. Si vous le faites souvent, il ne s’accumule pas.”

Pour bouger, les muscles ont besoin d’énergie sous forme d’ATP, l’adénosine triphosphate. La plupart des gens pense que le glucose, un sucre, apporte cette énergie, mais pendant un exercice intensif, cette source d’énergie est trop faible et trop lente, forçant les muscles à puiser dans le glycogène, un hydrate de carbone stocké dans les cellules musculaires. Pour ces deux formes de carburants, les réactions chimiques produisant de l’ATP et générant du lactate contiennent une voie glycolytique, souvent appelées “métabolisme anaérobique” parce qu’il n’a pas besoin d’oxygène. On pensait que cette voie était séparée de celle oxydative, parfois appelée “métabolisme aérobique”, utilisée pour brûler du lactate et d’autres carburant dans les tissus corporels.

Des expériences avec des grenouilles dans les années 1920 semblaient indiquer que la fabrication de lactate empêchait les muscles de travailler. Mais Brooks, dans les années 1980 et 1990, a montré que chez les animaux vivants et respirant, le lactate sortait des cellules musculaires pour aller dans le sang et voyageait vers différents organes, comme le foie, où il était brûlé avec l’oxygène pour fabriquer de l’ATP. Brooks a trouvé que même le coeur préfère le lactate en tant que carburant.

Il a toujours suspecté que les cellules musculaires elles-mêmes pouvaient réutiliser le lactate, et dans des expériences il a trouvé des preuves que le lactate est brûlé à l’intérieur de la mitochondrie, un réseau interconnecté de vaisseaux, telle une tuyauterie de plomberie, qui s’étend à travers le cytoplasme cellulaire.

En 1999 il a montré qu’un entraînement d’endurance réduisait les niveaux de lactate dans le sang, alors même que les cellules continuaient à produire la même quantité de lactate. Ce qui implique que les cellules s’adaptent pendant l’entraînement pour moins expulser de produit considéré comme déchet. Il a postulé une “navette de lactate intracellulaire” transportant le lactate du cytoplasme, où il est produit, à travers la membrane mitochondriale vers l’intérieur de la mitochondrie, où le lactate est consommé. En 2000, il a montré que l’entraînement d’endurance augmentait le nombre de molécules transporteurs d’acide lactique dans les mitochondries, manifestement pour accélérer la diffusion du lactate du cytoplasme vers les mitochondries pour y être brûlé.

Les articles publiés apportent des preuves confirmant la connexion présumée entre les molécules transporteurs – la “navette de lactate” – et les enzymes qui brûlent ce lactate. En fait, le réseau cellulaire mitochondrial, ou réticulum, possède un complexe de protéines qui lui permet la diffusion et l’oxydation, ou la combustion, de l’acide lactique.

“Cette expérience est l’argument décisif prouvant que le lactate est le lien entre le métabolisme glycolytique, qui casse les hydrates de carbone, et le métabolisme oxydatif, qui utilise l’oxygène pour dissocier les différents carburants” explique Brooks.

“Nos découvertes peuvent aider les athlètes et les entraîneurs à concevoir des programmes et ainsi éviter le surentraînement qui peut détruire des cellules musculaires” dit Brooks. “Les athlètes pourraient instinctivement s’entraîner de façon à fabriquer de la mitochondrie, vous si vous ne connaissez pas ce mécanisme, vous ne saurez jamais si ce que vous faites est correct ou non. Ces découvertes refaçonnent fondamentalement ce qu’on pensait de l’organisation, la fonction et la régulation des principales voies du métabolisme.”

Références :

[1] Colocalization of MCT1, CD147, and LDH in mitochondrial inner membrane of L6 muscle cells : evidence of a mitochondrial lactate oxidation complex. Am J Physiol Endocrinol Metab 290 : E1237-E1244, 2006.

A lire également