John Hardy, neuroscientifique de renom de l’Université de Londres, affirme qu’un sport dont le seul but est de causer des dégâts au cerveau d’une autre personne n’est pas un “noble art” et qu’il n’a pas sa place dans une société civilisée.

La National League de Football Américain a ajouté un nouvel échelon de protection à ses joueurs, en plus de leurs casques et des épaulettes : un neurologue indépendant sera présent à chaque rencontre pour évaluer les signes de commotion cérébrale après avoir reçu un coup à la tête.

Les blessures à la tête constituent l’un des risques du métier des footballeurs américains et un sujet de préoccupation majeur pour les instances nationales du football américain. Des milliers de joueurs en retraite ont poursuivi la ligue en justice pour négligence et fraude, déclarant que celle-ci connaissait les risques à long terme mais les avait cachés.

Les troubles qui les effrayent sont l’encéphalopathie traumatique chronique, la démence du boxeur ou dementia pugilistica. Ceux-ci causent l’apparition de problèmes de mémoire progressifs, un changement de la personnalité et un ralentissement des mouvements. Ces maladies affligent de nombreux anciens sportifs et principalement des boxeurs.

L’encéphalopathie traumatique chronique est bien connue. Dans les années 1980, John Corsellis l’avait déjà documentée dans une série d’articles publiés dans le British Medical Journal en 1989 [1]. Il avait découvert que de nombreuses fibres nerveuses montraient des signes évidents de déchirures, dont certaines étaient complètement arrachées et il avait aussi rapporté une dégénérescence répandue du cerveau. Il avait décrit comment de nombreux neurones étaient pleins de protéines, l’un des signes de la maladie d’Alzheimer.

D’autres recherches plus tard ont montré que les cerveaux des hommes atteints d’encéphalopathie traumatique chronique avaient un second type de dépôt de protéines appelé amylose, autre signe précurseur de la maladie d’Alzheimer. Alors qu’il n’y a plus aucun doute que ces problèmes sont causés par des coups répétés à la tête, on ne savait pas encore comment.

Les coups portés à la tête causent deux types de blessures. Le visage est coupé et contusionné par des impacts directs, mais les dégâts au cerveau sont causés par l’accélération de la rotation du cortex cérébral autour de l’encéphale moyen plus petit et de la moelle épinière. Ces blessures peuvent être aggravées par les gants de boxe étant donné qu’ils ajoutent du poids et ainsi de l’énergie au coup de poing (punch), et causent plus d’accélération rotationnelle.

Les tissus cérébraux sont une masse largement tendre, mais les vaisseaux sanguins à l’intérieur sont fibreux et solides comme les fils sur le fromage. Quand la tête est cognée, surtout avec un mouvement de rotation, l’une de ces deux choses peut survenir : soit un vaisseau sanguin peut se rompre, causant une hémorragie, soit il peut y avoir une déchirure microscopique du tissu autour des vaisseaux.

De grandes hémorragies sont ce qui fait tomber les boxeurs dans des comas et les tue occasionnellement pendant certains matches, mais les déchirures microscopiques des vaisseaux sanguins ne seront pas moins dommageables à long terme.

La première chose à noter est que les sportifs qui ont souvent été blessés de cette façon pendant leur jeunesse développent fréquemment des modes de comportement caractéristiques quand ils vieillissent. Ce sont les problèmes souvent rapportés dans les histoires médiatiques à propos d’anciens boxeurs : dépression, drogue et alcoolisme ou tempérament violent. Tous sont cohérents avec les dégâts sous-jacents du cortex frontal qui contrôle des fonctions exécutives comme le contrôle des impulsions.

Cela ne veut pas dire que tous les anciens sportifs qui ont ces problèmes ont une encéphalopathie traumatique chronique, mais il est clair que dans certains cas c’est un facteur contributif. En outre, des expériences récentes sur des souris ont indiqué que des enchevêtrements de protéines et des dépôts d’amylose peuvent se répandre lentement de neurone à neurone. La distribution des protéines chez les encéphalopathies est logique avec ça, se formant d’abord autour des vaisseaux sanguins avant de se répandre.

Avec ces découvertes, nous pouvons maintenant formuler une hypothèse plausible permettant d’expliquer pourquoi des blessures à la tête chez de jeunes hommes pendant leur adolescence et vers 20 ans conduiront à des changements de personnalité dans leur vie adulte et à la démence avec l’âge : les blessures à la tête rotationnelles provoquent des dommages, surtout autour des vaisseaux sanguins, conduisant à une formation locale d’enchevêtrement suivis par une destruction lente mais répandue.

Il faudra faire des efforts considérables et couteux pour minimiser les blessures à la tête. Les joueurs de foot l’ont déjà fait en remplaçant les lourds ballons en cuir par des plus légers recouverts de plastique. Le football Américain semble aussi aller dans la bonne direction, mais d’autres sports doivent faire de même.

En hockey sur glace, le rôle de “l’homme fort”, dont le principal travail semble être de cogner les joueurs de l’équipe opposée, devrait être aboli. Et dans tous les sports où il y a un risque de blessure à la tête – rugby par exemple – les joueurs devraient être surveillés pour garder un œil sur les dommages cérébraux. Il faut que tous ceux qui jouent et entrainent ces sports soient conscients des risques.

La boxe est cependant un cas à part. Aucun autre sport n’a pour objectif express de causer des blessures au cerveau. C’est certainement le but de la boxe professionnelle. Même en boxe amateur les blessures à la tête sont critiques, et les casques de protection peuvent ne pas protéger contre les blessures dues aux accélérations rotationnelles.

Corsellis enfonce le clou : “mon opinion est que le cerveau ne doit pas devenir la cible d’aucun sport, et aucune jonglerie dans les règlements ne pourra éviter ce risque. Des boxeurs expérimentés et d’élite sont eux-mêmes conscients du risque, mais il leur est difficile d’arrêter. La boxe porte atteinte à votre cerveau, ne laissez personne vous dire le contraire”.

Sans doute serai-je considéré comme un rabat-joie en épousant le point de vue que la boxe devrait être interdite. Mais cela vaut la peine étant donné les motifs de ceux qui vont répliquer. De nombreuses personnes tirent profit de la boxe, surtout les organisateurs et les médias qui gagnent sur les combats et sur les rumeurs à propos des dernières difficultés des boxeurs et de leurs familles.

Je leur retournerais la charge : rien de peut être plus rabat-joie que des changements de personnalité, que la violence, que l’abus de substances et que la démence. Je pense aussi que ceci est humiliant pour une société de tirer son plaisir à regarder des individus se battre et que nous devrions expédier ce genre de spectacle, comme nous l’avons fait des exécutions publiques, dans les poubelles de l’histoire.

Références :

[1] Corsellis, J. A. (1989) Boxing and the brain, British Medical Journal 105, p. 298.

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