Le prix de la vie c’est l’éternelle vigilance. Si vous avez des allergies alimentaires sévères, c’est votre réalité. Chaque jour, chaque repas, chaque bouchée. Manger est une partie intrinsèque et essentielle de ce que nous faisons et de qui nous sommes, ainsi l’idée que nos corps peuvent violemment se rebeller contre les aliments de tous les jours peut être difficile à croire. Mais c’est la réalité, et le nombre d’allergiques alimentaires graves augmente [1] sans que nous sachions pourquoi. Bien que connue depuis un siècle environ, cette reconnaissance sociale des allergies alimentaires a tardé, tout en s’améliorant durant la décennie passée. Les approches de prévention contre les allergies alimentaires font désormais partie intégrante des voyages, cantines scolaires, sports et lieux de travail. Les cacahuètes semblent avoir totalement disparu des avions. Les étiquettes des aliments affichent leurs contenances ou traces de fruits à coque.

Alors que 30% de la population croit souffrir d’allergie alimentaire, la fréquence réelle est d’environ 5% [2]. Les allergies sont un produit de notre système immunitaire, avec des voies biochimiques multiples stimulées en réaction à un allergène spécifique. “Allergie” peut décrire des réactions légères de la peau et une détresse respiratoire, jusqu’à des réactions mettant la vie en jeu.

La majorité des réactions allergiques relatives à la nourriture ne sont pas mortelles. L’anaphylaxie est le terme qui décrit la réaction immunitaire la plus rapide et la plus grave, qui peut survenir en réaction à un médicament (cause la plus fréquente d’anaphylaxie), un insecte ou un aliment.

L’anaphylaxie allergique alimentaire est rare, survenant chez 70 personnes sur 100000 de la population. Huit aliments causent plus de 90% des réactions anaphylactiques : le lait, les œufs, les cacahuètes, le poisson, les crustacés, le soja et le blé. Les réactions peuvent impliquer plusieurs systèmes du corps (gastro-intestinal, peau, respiratoire) comprenant des difficultés à respirer et un gonflement de la gorge. L’anaphylaxie est estimée avoir des conséquences fatales dans 0,7 à 2% des cas [3]. La mort survient à cause d’une obstruction des voies respiratoires supérieures, un déplacement des fluides vasculaires et une fonction cardiaque en chute. Le risque d’anaphylaxie, et la rapidité à laquelle elle peut arriver chez un individu avec un passé allergique, est difficile à prédire et peut être influencé par l’âge, le type d’allergène, la portée de l’exposition et une maladie sous-jacente comme l’asthme.

L’évaluation des allergies alimentaires anaphylactiques implique un certain nombre d’outils diagnostiques comprenant des tests sur la peau, des tests in vitro et des défis alimentaires. Il n’y a pas de test diagnostique unique. Différents tests peuvent être utilisés selon le passé allergique du patient. Tous ces tests ont différents risques et bénéfices et doivent être réalisés sous la supervision d’un allergologue qui a un accès direct à tout l’attirail de réanimation en cas de besoin. Les allergies alimentaires chez les enfants peuvent se résoudre avec le temps, comme avec le lait et les œufs. Les allergies aux fruits à coques et à l’arachide sont cependant plus susceptibles de durer toute une vie.

Étant donné la nature potentiellement fatale de certaines allergies, on pourrait penser qu’il n’y pas de place pour les mythes ou la pseudoscience. Et pourtant, la confusion et la désinformation abondent aussi dans ce domaine. Il y a cette tendance malheureuse d’étiqueter toute espèce de réaction négative à toute substance comme étant une “allergie”. Les individus sont souvent prompts à parler d’allergie aux médicaments quand il s’agit seulement d’intolérance, comme avec une diarrhée aux antibiotiques, ou des nausées et une somnolence causée par des narcotiques.

Il y a ensuite les “allergies” à la mode. La plus connue en ce moment est “l’allergie” au gluten, une condition auto-diagnostiquée dans laquelle on croit que le gluten est une espèce de toxine alimentaire – qui doit être distinguée de (1) la personne ayant des crises anaphylactiques documentées à cause d’une allergie au blé et (2) de ceux atteints de maladie cœliaque qui est une réaction auto-immune au gluten qui exige de l’éviter à tout prix (mais qui ne cause pas d’anaphylaxie s’il est ingéré). En capitalisant sur la confusion entre allergies et intolérances, les praticiens de certaines thérapies alternatives proposent leurs propres définitions des allergies et, évidemment, offrent leurs propres services.

Le résultat est une grande confusion sur les allergies, et des inquiétudes car nous voyons trop souvent des allergies inexistantes, ce qui peut augmenter le risque de louper celles qui sont réellement fatales. Les œufs, l’arachide et le lait sont les allergies les plus fréquentes [4], mais les cacahuètes et les fruits à coques causent plus de réactions anaphylactiques fatales. En outre, les réactions sévères sont plus fréquentes chez les enfants [5], et les enfants et les jeunes adultes courent un plus grand risque de réaction fatale [6].

Avec les allergies alimentaires, les conséquences d’une seule mauvaise décision peuvent être mortelles. Avec les anaphylaxies alimentaires, le temps moyen avant le décès est de 30 minutes. Il n’y a à ce jour aucun traitement définitif contre les allergies alimentaires. La recherche sur la désensibilisation semble prometteuse [7], mais elle n’est pas encore prête à être utilisée en dehors du cadre des études cliniques.
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Voici quelques mythes et faits à propos des allergies alimentaires :

Mythe : les allergies sont dans la tête et ne sont pas dangereuses.

Fait : alors que 50 à 90% des allergies alimentaires auto-rapportées ne sont pas des allergies [8], les allergies alimentaires sévères existent bel et bien. Elles peuvent avoir une apparition soudaine, et être fatales en quelques minutes. Les réactions passées ne sont pas un indicateur des réactions futures. La seule façon de prévenir des réactions chez ceux qui ont un passé d’allergies anaphylactiques est d’éviter complètement l’allergène concerné. D’autres types de réaction, comme la maladie coeliaque (un trouble immunitaire provoqué par le gluten), exigent d’éviter l’allergène, mais ne sont pas immédiatement mortels comme peuvent l’être les allergies.

Mythe : Le Benadryl peut être utile contre l’anaphylaxie.

Fait : Le seul traitement utile pour gérer une anaphylaxie est l’épinéphrine intramusculaire. Tous les autres traitements, comme l’antihistaminique Benadryl, les inhalateurs et les stéroïdes sont des traitements secondaires qui ne remplacent pas le besoin d’administration immédiate d’épinéphrine [9]. Il n’y pas de rôle établi de l’administration de Benadryl pendant des réactions anaphylactiques.

Mythe : j’ai été exposé à un allergène mais je vais bien. Peut-être n’aurai-je aucune réaction.

Fait : Peut-être, ou peut-être pas. Les réactions anaphylactiques n’apparaissent pas toujours immédiatement, et elles peuvent être retardées de quelques minutes voire quelques heures. Les réactions peuvent se manifester de différentes manières.

Mythe : l’allergie alimentaire est la même chose que l’intolérance alimentaire.

Fait : une intolérance alimentaire n’est pas allergique par définition. L’intolérance au lactose est un exemple, où la réaction au lactose n’implique pas le système immunitaire. Les intolérances peuvent être désagréables mais elles ne sont pas fatales.

Mythe : mon naturopathe/ostéopathe/acupuncteur/homéopathe a diagnostiqué mon allergie.

Fait : les naturopathes, ostéopathes ou autres praticiens de thérapies alternatives ne savent pas diagnostiquer une allergie. Pourtant, nombreux sont ceux qui proposent différents tests diagnostiques dans leur pratique. Leurs traitements ont soit montré qu’ils étaient inefficaces, soit inutiles. Les tests réfutés et inefficaces contre l’allergie alimentaire que les praticiens proposent peuvent être :

Les tests sanguins IgG : ces tests (comme Hemocode et Yorktest) ne peuvent pas identifier les sensibilités ou allergies alimentaires, mais seulement une exposition récente à différents ingrédients alimentaires. Ils n’ont pas de valeur en tant que tests diagnostiques pour les allergies alimentaires.

La kinésiologie appliquée : la kinésiologie appliquée est une pseudo-médecine qui prétend diagnostiquer les allergies en disposant un allergène suspecté sur un membre (bras, jambe) puis en pressant sur ce membre. Ils affirment que la faiblesse musculaire indiquerait une allergie. Des évaluations rigoureuses ont montré que les tests de la kinésiologie appliquée peuvent être complètement manipulés par le testeur, et qu’ils n’ont aucun rapport avec des réactions allergiques réelles.

Le test électrodermique ou “test Vega” : le test Vega est supposé mesurer le courant électrique du corps (sur des points d’acupuncture) avec un allergène dans le circuit électrique. Il n’y a aucune corrélation entre les résultats d’un test Vega et la réalité, en ceci qu’il ne peut pas du tout identifier les allergies.

Le test cytotoxique (test de Bryan) : ces tests d’allergie bidons étaient l’ancienne génération des tests sanguins IgG, vendus en magasins, qui impliquent de mélanger les globules blancs d’un patient avec des allergènes suspectés. Il n’y a pas de corrélation entre les résultats et les réactions allergiques.

L’analyse des cheveux : alors qu’elle peut être utile pour mesurer une exposition à des médicaments ou à certains éléments chimiques, il n’y a aucun fondement à l’examen des cheveux pour déterminer des allergies.

Le test des pulsations : plutôt utilisé pour diagnostiquer une “intolérance” alimentaire, celui-ci implique de mesurer les pulsations avant et après d’avaler un allergène suspecté. On comprend aisément pourquoi un tel test n’est pas à conseiller pour des allergies suspectées.

Mythe : mon naturopathe/ostéopathe/acupuncteur/homéopathe peut éliminer mon allergie.

Fait : contrairement aux déclarations régulièrement faites à ce sujet, il n’y pas de traitement qui “soigne” les allergies en thérapie alternative. Sans doute à cause des options de traitement limitées, les adeptes des thérapies alternatives offrent toute une variété de traitements visant à “éliminer l’allergie” qui sont supposés être efficaces contre un ensemble d’allergènes. NAET ou “Nambudripad Allergy Elimination Techniques” est proposé comme étant en mesure d’éliminer les “blocages d’énergie” à travers l’association de traitements chiropratiques et d’acupuncture. Les tests comprennent certains éléments de kinésiologie appliquée (voir ci-dessus) et d’appareils électroniques qui mesurent la résistance de la peau, dont le test Vega (voir ci-dessus). Sans surprise, il n’y a aucune preuve crédible que “NAET” puisse éliminer les allergies d’aucune sorte, mais cela n’empêche pas ses promoteurs de faire des déclarations dangereuses.

Mythe : Les étiquettes avec la mention “peut contenir” protègent légalement les sociétés. Ces aliments sont cependant sans danger pour les allergiques anaphylactiques.

Fait : Les étiquettes avec la mention “peut contenir” devraient être prises à la lettre. Une étude sur ce genre d’étiquettes a montré que ces aliments contenaient des niveaux d’arachide détectables 8,6% du temps [10].

Mythe : j’ai diagnostiqué l’allergie de mon enfant, ainsi il ne mange plus de “X” du tout.

Fait : Beaucoup de gens croient avoir des allergies alimentaires alors qu’ils n’en ont pas. Des restrictions alimentaires inutiles peuvent avoir des conséquences nutritionnelles importantes, ainsi, une évaluation professionnelle est à privilégier s’il y a suspicion d’allergie alimentaire.

Références :

[1] NCHS Data Brief. Number 121, May 2013. Trends in Allergic Conditions Among Children : United States, 1997–2011.

[2] Diagnosing and Managing Common Food Allergies. A Systematic Review. JAMA, 2010, Vol 303, No. 18.

[3] Epidemiology of life-threatening and lethal anaphylaxis : a review. Moneret-Vautrin DA, Morisset M, Flabbee J, Beaudouin E, Kanny G. Allergy. 2005 ;60(4):443-51.

[4] ASCIA guidelines for prevention of anaphylaxis in schools, pre-schools and childcare : 2012 update. Journal of Paediatrics and Child Health. Vol 49, Iss 5, pp 342–345, 2013.

[5] J Allergy Clin Immunol. 2008 Dec ;122(6):1161-5. doi : 10.1016/j.jaci.2008.09.043. 2008. The etiology and incidence of anaphylaxis in Rochester, Minnesota : a report from the Rochester Epidemiology Project.

[6] J Allergy Clin Immunol. 2007 Apr ;119(4):1016-8. 2007. Further fatalities caused by anaphylactic reactions to food, 2001-2006.

[7] Cochrane Database Syst Rev. 2012 Sep 12 ;9:CD009014. doi : 10.1002/14651858.CD009014.pub2. Allergen-specific oral immunotherapy for peanut allergy. Nurmatov U, Venderbosch I, Devereux G, Simons FE, Sheikh A.

[8] Pediatr Allergy Immunol. 1999 May ;10(2):122-32. Prevalence of parentally perceived adverse reactions to food in young children. Eggesbø M, Halvorsen R, Tambs K, Botten G.

[9] Allergy. 2009 Feb ;64(2):204-12. doi : 10.1111/j.1398-9995.2008.01926.x. Adrenaline for the treatment of anaphylaxis : cochrane systematic review. Sheikh A, Shehata YA, Brown SG, Simons FE.

[10] Quantitative risk assessment of foods containing peanut advisory labeling. Food and Chemical Toxicology. Vol. 62, Dec. 2013, pp 179–187.

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